L'extraodinaire destin de Lala Fatma N’Soumeur (Première partie)

Publié le par Karim Kherbouche

Lala Fatma N’Soumeur vint au monde aux environs de 1830, au moment où l’envahisseur français débarquait en Algérie pour signer l’une des pages les plus sombres et les plus sanglantes de son Histoire. Les autorités turques du Dey Hussein courbèrent l’échine et livrèrent le pays qu’ils administraient aux colonisateurs presque sur un plateau. A sa jeunesse, la fille de Ouerja, village situé à quelque cinq kilomètres de Ain El Hammam, dut se battre d’abord pour s’imposer parmi les siens avant de devenir une grande guerrière et une révolutionnaire hors pair qui marqua de son empreinte l’Histoire de l’Algérie. Elle résista héroïquement à une armée colonisatrice très sophistiquée dirigée par les plus aguerris des maréchals français qui la surnommèrent : La Jeanne d’Arc du Djurdjura.

La femme qui ne veut pas de maître

Lala Fatma N’Soumeur, de son vrai nom Sid Ahmed Fatma, est issue d’une famille maraboutique, très célèbre en Haute Kabylie. En dépit de la rigueur de leur religiosité, souvent apparentée à un conservatisme drastique privant les femmes de leur droits les plus élémentaires, ses parents étaient tendres et bienveillants à l’égard de leurs enfants et ce, sans ségrégation aucune entre garçons et filles. Fatma était particulièrement chouchoutée par son père, Si Mohammed qui était pieux et occupait la fonction d’Oukil de la zaouia de Sidi Abderrahmane Boukobrine. Sa maman dont elle hérita, dit-on, d’une beauté gracieuse, s’appelait Lala Terkia N’Ath Ikhoulaf et était issue du village Askeur.

A l’adolescence, des signes de révolte commencèrent à apparaître chez Fatma qui clamait haut et fort son refus de l’idée du mariage qui était considéré comme synonyme de soumission de la femme au mari. Notre héroïne refusa énergiquement d’avoir un maître, quel qu’il soit, et c’est la raison pour laquelle elle demeura célibataire jusqu’à sa morte à l’âge de 33 ans.

La jeune fille au teint blond se comportait avec une politesse aimable, elle était élégante et très raffinée. Elle adorait se parer de beaux bijoux et d’habits traditionnels de couleur rouge qui dénotait son sens de sacrifice que peut symboliser la couleur du sang. Elle était d’une beauté telle qu’elle fascina énormément de jeunes gens qui furent nombreux à se présenter à sa demeure parentale pour demander sa main. Mais Fatma campa sur sa position de refus de se marier de crainte de perdre ce qu’elle avait de plus précieux : sa liberté et sa dignité.

Néanmoins, cette attitude n’eut pas l’aval de tous les membres de sa famille, notamment de son frère aîné Si Mohand Tayeb qui alla jusqu'à accuser son propre père de faire preuve de trop de clémence à l’égard de sa fille. Il jura alors par tous les Saints que sitôt que leur père mourra, il accorderait sa main au premier homme qui viendrait la demander en mariage. A ses yeux, une jeune femme célibataire représentait la honte et la hantise de la famille. Pour la petite histoire, le temps fera et c’est ce que nous verrons plus loin, que ce même frère aîné irréductible deviendra le subalterne de Lala Fatma lors de la résistance qu’elle organisa contre l’armée française !

Soulignons que Lala Fatma avait cinq frères et deux sœurs : Si Mohand Tayeb, Si L’Hadi, Si Tahar, Si Ahmed, Si Chérif, Yamina et Tassaadit. En Kabylie, les noms des marabouts furent toujours précédés de "Si" comme marque de respect et de reconnaissance pour leur rôle de propagateurs de la parole de Dieu. De nos jours, cette appellation est en voix d’extinction et on ne distingue pratiquement plus les familles dites maraboutiques des autres familles.

Dès son jeune âge, son tempérament rebelle, son attachement à la liberté et son opposition à la conception du mariage de son époque firent d’elle une insurgée, une révoltée, une sorte de hors-la-loi qu’on désigne en Kabyle par le terme grave de "Tamnafeqt".

Le mariage forcé de l’héroïne

A la mort du père de Lala Fatma, son frère aîné, Si Mohand Tayeb, décida d’accomplir le serment qu’il avait fait : il accorda la main de la jeune fille à son cousin Si Yahia N’Ath Ikhoulaf du village d’Askeur. Si Mohand Tayeb ne jugea pas utile de consulter sa sœur, il se croyait maître à bord. Sans le savoir, il se mit le doigt dans l’œil car sa sœur n’était pas une femme comme les autres.

Les deux familles N’Ath Ikhoulaf et Sid Ahmed s’empressèrent de célébrer le mariage de Si Yahia avec Lala Fatma pour vraisemblablement prendre au dépourvu la révoltée et ne plus lui donner le temps de prévoir une riposte susceptible de leur porter préjudice et d’entamer leur réputation.

La jeune héroïne devint subitement taciturne et adopta une attitude qui surprit plus d’un. On se demandait ce qu’elle mijotait dans sa tête. Le jour de la cérémonie de son mariage, la famille du mari se déplaça à Ouerja pour ramener la mariée. Lala Fatma dans un silence légendaire s’exécuta et monta sur un mulet comme se fut la tradition du mariage. Le cortège avançait dans une ambiance festive et la jeune héroïne fixait le ciel de regard et avait l’air mélancolique et triste. Arrivée à la demeure du mari, sous fond de you-yous stridents, de chants de tambourins et de cris de joie, la mariée, accompagnée d’autres femmes s’apprêta à franchir le seuil de sa nouvelle maison quand, tout à coup, le silence s’empara de l’assistance et l’on entendit Si Mohand Tayeb gémir de douleur au point d’ameuter les présents. Voulant tirer un coup de feu à l’aide de son fusil de chasse, par mégarde peut-être, il se blessa la main: il perdit trois doigts.

Lala Fatma, dans sa robe de mariée, se précipita et fit apporter des plantes médicinales qu’elle pila à l’aide d’un pilon jusqu’à obtenir un mélange qu’elle appliqua sur la blessure de son frère et le sang s’arrêta de couler. Cet événement alimenta la chronique locale et mit Lala Fatma au-devant de la scène public. Chacun y allait de sa version. Nombreux furent ceux qui pensaient qui ce fut une intervention divine : le mariage forcé de la jeune fille était à l’origine de l’accident car Si Mohand Tayeb n’eut pas respecté le serment prêté par son défunt père de ne pas marier sa fille sans son accord.

Cet incident gâcha l’ambiance de la fête et la mariée en colère entra directement dans sa nouvelle chambre et barricada la porte. Les membres de sa belle-famille eut beau lui demander de l’ouvrir en vain. La jeune mariée faisait la démente qui soliloquait. Vraisemblablement, il fallait pour elle se faire passer pour une aliénée pour qu’on lui foute la paix. Et à ce jeux, elle excella fort bien.

Les jours qui suivirent cet événement, Lala Fatma se consumait dans la tristesse en silence; le chagrin corrodait sa sublime beauté de jour en jour. Au bout de trente jours, comme le stipulait alors la loi, elle retourna à Ouerja chez ses parents mais sans pour autant être "légalement" divorcée. Aussi, la jeune femme est condamnée au célibat pour tout le restant de sa vie à cause du refus de "son mari" Si Yahia N’Ath Ikhoulaf de consentir au divorce. Son frère aîné qui trouva son attitude trop rebelle décida de l’enferma dans une pièce exiguë pendant plusieurs jours. Il aura fallu l’intervention des anciens du village qui s’entremirent dans ce conflit pour permettre à la jeune révoltée de retrouver sa liberté. De temps à autre, la mère de Lala Fatma tentait de prendre langue avec sa fille pour lui prodiguer des conseils afin qu’elle accepte enfin de mettre un terme à son célibat, la jeune héroïne rétorquait : «Mère, je suis née libre ; je ne veux pas d’un maître ».

Quelques temps plus tard, Lala Fatma rejoignit son frère Si Tahar à Soumeur où il était imam du village après avoir appris les soixante Hizbs du Coran. Parmi ses frères, Lala Fatma avait une prédilection toute particulière pour Si Tahar qu’elle trouvait à l’image de son défunt père : doux, attentif et respectueux à l’égard de ses sœurs.

A suivre…

Karim KHERBOUCHE

Publié dans A vos plumes !

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A
pupute au pied salope
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K
Merci Yasmina, la chanteuse que j'adore, de ce commentaire. Ecris moi à ma boîte email, j'ai énormément de chose à te dire. Merci<br /> L'auteur du blog<br /> Karim 
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Y
Je suiss émue de savoir qu'une femme comme fatma me ressemble.<br /> J'ai exactement la même perception de vie qu'elle<br /> Je ne me soumettrai jamais à un mariage, je ne veut pas d'un maître et j'aime ma liberté et ma dignité.<br /> J suis vraiment impressionnée car son histoire j l'ai vécu, et j'aimerai un jour à travers le théâtre ressortir son nom. j vais travailler sur les différentes phases de l'Algérie à partir de 1830 jusqu'à sa décolonisation. J'aimerai jouer ce rôle de femme qui aime maîtriser, gérer, impressionner et combattre avec honneur ses origines et et sa position de femme
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